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Pour une école de la culture, contre l'inquisition pédagogiste - un blog de Michel Renard
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14 mai 2006

L'imposture pédagogique - V (Bernard Berthelot)

14066
Pour apprendre l'anglais à Julie, il faut d'abord connaître l'anglais.
Énoncé insuportable pour la "modernité pédagogique"...!



L'imposture pédagogique - V

Un anti-humanisme désolant

Bernard BERTHELOT


La conséquence, on l'a vu, est une dévalorisation des savoirs au profit des savoir-faire et des savoir-être. Or, cette trilogie, véritable "tarte à la crème" des "sciences de l'éducation", est très contestable, de l'aveu même de Daniel Hameline, trop étroitement dépendante selon lui, d'une "coupure héritée de la vieille psychologie des facultés de l'âme" et reconduisant "honteusement" la distinction, marquée "au coin du bon sens" entre le "sentir", le "connaître" et le "faire".
Nous ne discuterons pas cette critique "Hamelinienne" de la trilogie, remarquant seulement qu'on pourrait lui adresser bien d'autres reproches, mais nous nous étonnerons de l'argument par lequel Hameline maintient ce que, par ailleurs, il dénonce-:

- "L'ensemble de la littérature sur les objectifs avalise cette trilogie. Je ne peux donc que la proposer à la sagacité critique du lecteur comme un instrument dont la médiocrité est insigne, dont la saturation idéologique est évidente, mais qui marche".

Autrement dit, plus c'est mauvais, mieux cela vaut, par l'unique raison que ça marche !! Voilà bien les misérables sophismes pragmatiques, et la misérable conception de la vérité à laquelle il nous est demandé d'adhérer : "est vrai ce qui marche" !

Quelques questions cependant : Est-ce que ça marche vraiment ? Comment ça marche ? Pourquoi ça marche ? Et peut-être surtout, pour qui ça marche ? Et enfin, la question de fond : peut-on sacrifier ainsi la vérité à l'efficacité, l'efficacité et l'utilité peuvent-elles reposer tout entières sur l'erreur ?

Le débat est très ancien : c'est celui des orateurs et des sophistes contre Socrate. Le discours d'Hameline,gorgias de D'Hainaut, des De Landsheere et consorts est le même que celui de Calliclès lorsqu'il recommande à Socrate de laisser de côté la philosophie, à savoir la recherche de la vérité, au profit de ce qui marche.

- "Crois moi, mon bon ami, renonce à tes arguties, cultive la belle science des affaires, exerce-toi à ce qui te donnera la réputation d'un habile homme. (...) Prends pour modèle les gens qui ont du bien, de la réputation, et mille autres avantages".

En matière d'enseignement, faut-il donc faire le choix de Calliclès, ou celui de Socrate ? Certes, dans tous ces ouvrages, aucun des adeptes de la "pédagogie par objectifs" ne se réfère à Platon. Certains, parfois, se réfèrent à Rousseau, mais ce qu'ils en disent ferait plutôt douter de leur connaissance de l'auteur. D'autres se risquent à citer Kant, en ignorant ou en feignant d'ignorer que la doctrine kantienne de l'éducation constitue la réfutation la plus cinglante de la démarche des objectifs.

Dans le Gorgias également, et à propos de la rhétorique, Platon réfute par avance, et radicalement, cette distinction oiseuse entre savoirs, savoir-faire, et savoir-être. A Gorgias qui prétendait qu'il ne fallait pas imputer à la rhétorique le mauvais usage qu'en faisaient certains orateurs, Socrate objecte ce principe général :

- "Celui qui a appris un art n'est-il pas tel que le fait la connaissance de cet art ? Celui qui a appris la charpenterie, est-il charpentier - ou non ? Celui qui a appris la musique n'est-il pas musicien ?"

Que faut-il donc apprendre ? La musique, ou être musicien ? Peut-on être musicien si l'on n'a pas appris la musique ? Apprendre la musique, cela ne confère-t-il pas nécessairement une capacité musicienne ? Autrement dit, peut-on "faire un musicien" autrement qu'en lui apprenant la musique, et à jouer d'un instrument, en agissant par exemple sur le "comportement" de l'individu, en modelant un hypothétique "être-musicien" ? Question certes saugrenue, mais qui en rappelle furieusement une autre, par laquelle quelques "pédagogues" inspirés prétendent montrer qu'éduquer n'est pas ce qu'on croit :



"Que faut-il connaître pour apprendre le latin à Paul" ?

La raison, ainsi que le plus solide bon sens, suggèrent qu'il faut impérativement connaître le latin et que c'est à cette condition qu'on peut l'enseigner à Paul, à Pierre, et à quiconque. Réponse irrecevable, pour les tenants de la modernité pédagogique ! Réponse renvoyée à une "pédagogie traditionnelle" dépassée, parce qu'axée sur les contenus et ignorante de la situation de Paul, de ses perspectives, de ses attentes, de ses difficultés etc..., de sorte que le latin, dans cette affaire, devient accessoire.

Et l'on ne se tirera pas d'embarras en concédant que la connaissance de Paul peut n'être pas tout-à-fait inutile. L'approche systémique, toute puissante en Amérique du Nord, et qui gouverne les "sciences de l'éducation", interdit que l'on aborde la question éducative avec une telle naïveté. La "théorie des systèmes" commande, au contraire que l'acte d'apprendre soit étudié comme "le sous-système enseigner-apprendre" d'un système plus vaste, ou d'une imbrication de systèmes faisant intervenir une foule d'acteurs, dont je citerai au hasard, et dans le désordre, le législateur, le ministre, les parents d'élèves et leurs associations, les pouvoirs économiques, les inspecteurs, la famille, les camarades, les syndicats... Je n'en ai pas fini de citer tous les acteurs censés intervenir dans le processus éducatif et dans l'acte d'enseigner le latin à Paul : je renvoie les intéressés à l'organigramme qui se trouve dans l'ouvrage d'Hameline déjà cité, p 61.

La théorie des systèmes raffole de ces organigrammes qui figurent les relations entre les éléments duthesenet281 système par des flèches en tous sens qui, outre qu'elles rendent les tableaux confus, dispensent de tout effort de conceptualisation à propos de ces relations, sous prétexte "qu'un bon schéma vaudrait mieux qu'un long discours". La multiplication des organigrammes, avec le type de formalisation qui les caractérisent, confère certes à ces ouvrages un petit air "scientifique" qui n'est pas fait pour déplaire aux adeptes de l'approche systémique et des prétendues "sciences de l'éducation". En outre, l'explicitation de ces relations requiert la participation d'un nombre important de spécialistes : du sociologue, du psychologue, du psychopédagogue, du socio-pédagogue, du statisticien..., bref de l'ensemble des disciplines censées contribuer à l'explicitation du sous-système enseigner-apprendre, et constituer les "sciences de l'éducation". Mais, bon sang, qui apprendra donc le latin à Paul ?

De quoi s'agit-il au fond ? Et vers quel type de réponse nous achemine, tout doucement, l'approche envisagée ? Il s'agit de prendre acte, notamment de l'état d'esprit de Paul, de sa "psychologie", afin de s'interroger sur le sens que pourrait avoir sa demande, ou son refus du latin, de considérer son milieu sociologique, afin de se pencher sur les influences qui s'exercent sur lui, à propos du latin. Aura-t-il besoin du latin ; ses parents ont-ils appris le latin ? Est-ce, comme le dit Brel, pour être pharmacien (parce que papa ne l'était pas), que le jeune Paul pourrait se retrouver sur les bancs de l'école, à ânonner les "rosa-rosa-rosae" ou, pour citer la même chanson, pour "apprendre dès son enfance tout ce qui ne lui servira pas" ? Est-ce donc à Paul d'en décider, ou faut-il le négocier avec lui ?

La réponse est plus simple, et le sociologue, ainsi que l'économiste, auront tôt fait de nous éclairer : Paul apprendra le latin s'il fait partie "des Jules et des Prosper qui f'ront la France de demain"; sinon quel besoin aurait-il donc d'apprendre le latin ? Soyons pragmatiques. Et comme il n'y a plus guère aujourd'hui de Jules et de Prosper, et que la "France de demain" est bien difficile à discerner, il n'y a plus besoin d'apprendre le latin ! Si la société de cette fin de siècle décide qu'il n'est plus utile d'apprendre le latin, cette discipline pourra disparaître des matières d'enseignement. Cette disparition sera d'autant plus indolore et discrète qu'on se sera accoutumé à ne plus se préoccuper des contenus disciplinaires, mais à "former utile". C'était bon pour Jules et pour Prosper d'apprendre le latin, le grec, la philosophie et l'histoire, d'apprendre les mathématiques pour autre chose que pour la vie quotidienne. Aujourd'hui, il faut être pragmatique, et ne plus perdre de temps au "loisir de penser".

Qui ne voit que tourner le dos au savoir et à la culture, que déclarer les "humanités" et l'humanisme qui en est inséparable, obsolètes, au nom d'une quelconque "culture technologique" censée les remplacer, c'est perdre quelque chose de l'homme, c'est perdre le sens de l'humain ?

Histoire fiction ? Perspective apocalyptique et irréaliste ? Comment la France, pays de grande tradition culturelle, pourrait-elle se laisser entraîner à de telles conceptions et à une telle politique scolaire, dans un tel oubli d'elle-même ? On se rassurera autant que l'on voudra, mais il faut dire que le processus est en marche, et que les perspectives évoquées et dénoncées ici, n'évoquent pas un avenir lointain et hypothétique, mais un avenir imminent et certain, si rien n'est fait pour l'empêcher !

Une conception authentiquement démocratique et humaniste de l'enseignement oblige à dire qu'il faut apprendre le latin à Paul, dès lors que ce travail et cette culture collaborent à une promotion de son être; ce n'est pas à l'école, ni à aucune autre instance extérieure de dire ce que Paul doit être, mais c'est à l'école que revient d'abord la tâche de donner à Paul les moyens d'être tout ce qu'il peut être, et c'est précisément ce qui s'appelle éduquer. C'est asservir un homme que d'intervenir directement sur son être, en usant de méthodes qui sont nécessairement des techniques de conditionnement. Les techniques d'apprentissage, fondées sur le béhaviorisme, dégradent l'enseignement en entreprise d'asservissement.

Les béhavioristes s'indignent, bien entendu, d'une telle accusation, même les plus virulents, même les plus sectaires. Mais il suffit de se pencher sur leurs conceptions éducatives, sur ce qu'ils préconisent en matière d'éducation, et sur leurs méthodes pour savoir à quoi s'en tenir sur leurs protestations indignées.

En premier lieu, les béhavioristes ne se sont jamais bornés à leurs études de psychologie expérimentale, skinnermais se sont toujours mêlés, et aujourd'hui plus que jamais, de réformer l'enseignement. Ainsi, Skinner (photo ci-contre), l'un des chefs de file du béhaviorisme contemporain et spécialiste de l'apprentissage, déclare sans ambages :

- "Ce que nous savons, à la lumière des travaux de laboratoire, des mécanismes de l'apprentissage, devrait nous pousser à nous attaquer aux réalités de la classe et à les changer radicalement. L'éducation scolaire est sans doute la branche la plus importante de la technologie scientifique. Elle influence profondément la vie de chacun. Nous ne pouvons plus tolérer que les conditions défavorables de fait fassent obstacle aux progrès extraordinaires aujourd'hui réalisables. Il faut changer la situation de fait".

C'est donc bien à l'enseignement que les béhavioristes entendent s'attaquer, et qu'ils se proposent de changer radicalement, au nom d'une technologie scientifique et des mécanismes de l'apprentissage. Or, Skinner, qui a étudié ces mécanismes chez l'animal, se propose, purement et simplement, de les appliquer à l'homme :

- "Les nouvelles méthodes visant à modeler le comportement et à le maintenir en vigueur représentent unfig_1 progrès considérable sur les procédés classiques en usage chez le dresseur d'animaux".

L'on pourrait certes s'indigner de trouver de tels propos dans un ouvrage consacré à l'enseignement, mais c'est Skinner qui s'étonne que l'on puisse mettre en cause cette manière de traiter l'enfant comme un animal. Il se défend en disant qu'il ne prétend pas qu'une chose vraie pour le pigeon le soit nécessairement pour l'homme. Il reconnaît qu'il y a d'énormes différences entre le comportement de l'homme et celui du pigeon, mais il justifie par ailleurs sa démarche en mettant l'accent sur des "éclairantes similitudes dans les mécanismes de base du comportement".

Il y a bien un antagonisme fondamental et irréductible entre une telle conception et une approche humaniste de l'éducation. Concédons même à Skinner qu'il y ait des similitudes dans les mécanismes de base du comportement, et que l'expérimentation sur les pigeons ou les rats de laboratoire permette de mettre en évidence d'intéressantes analogies, il reste que jamais l'éducation ne pourra s'analyser en termes de comportements. Jamais les questions posées par Skinner dans son livre, ne pourront être posées par un éducateur digne de ce nom, et qui sait ce qu'éduquer veut dire :

- "Quel comportement veut-on installer ? De quels renforcements dispose-t-on ? Quelles conduites déjà existantes sont utilisables pour amorcer un programme d'apprentissage progressif qui achemine, par approximations successives, à la forme finale de comportement souhaitée ? Comment faut-il programmer les renforcements pour entretenir le plus efficacement possible le comportement ?"

Et ici, il ne s'agit plus du dressage de l'animal, il ne s'agit plus de trouver "un champ d'application dans la production d'animaux dressés à des fins commerciales". Skinner dit, d'une part que ces méthodes ont été employées pour des démonstrations dont l'intérêt dépasse très largement le domaine spécialisé du psychologue de l'apprentissage, et il prétend qu'il n'est guère "difficile d'imaginer des contingences de renforcement complexes qui peuvent produire différentes formes de comportements sociaux".

Il affirme, d'autre part, que les questions qui ont été posées doivent l'être "lorsqu'on envisage le problèmeskinner de l'enfant abordant l'école primaire." La question n'est même pas de savoir si le conditionnement ainsi conçu peut être efficace, et si les connaissances acquises sur les processus de l'apprentissage, et qui découlent des recherches sur l'animal, "demeurent étonnamment applicables au sujet humain"; la question est de savoir si une telle démarche est légitime, s'il est humainement, et pas seulement techniquement, pertinent de poser la question de l'éducation en terme de comportement et de proposer de l'enseignement ce genre de définition, que Skinner n'hésite pas à donner :

- "Enseigner quelque chose, c'est inviter l'élève à s'engager dans de nouvelles formes de comportement, clairement définies, dans des occasions clairement définies elles aussi. Il ne suffit pas de savoir ce que nous voulons enseigner. Notre souci essentiel est que le comportement approprié se présente à coup sûr au bon moment, problème qui, dans une optique traditionnelle, relèverait de la motivation".

La perspective que Skinner déclare nouvelle, mais qui en réalité, remonte au début du siècle et aux premiers travaux béhavioristes, exclut radicalement toute référence aux contenus de conscience et donc aux désirs, aux motifs, aux raisons : le béhaviorisme interdit absolument d'ouvrir la fameuse "boîte noire", boîte de Pandore d'où risqueraient de s'échapper tous les faits de conscience, reliquats d'une subjectivité honnie ! Aussi faut-il impérativement traduire en comportements tout ce qui pourrait renvoyer à la conscience et à la subjectivité, directement ou indirectement, et Skinner compte pour cela sur la "science triomphante" qui doit permettre de substituer aux formulations traditionnelles cette perspective nouvelle :

- "la pensée humaine doit se définir en termes de comportements réels, qui méritent d'être traités pour eux-mêmes comme les objectifs concrets de l'éducation".

Il n'est pas étonnant alors que la pensée soit définie en termes de "comportements", de même que le langage ou la communication, ainsi d'ailleurs que les "traditionnelles" disciplines d'enseignement, telles que l'orthographe ou l'arithmétique.

skinner_1Enseigner l'orthographe, c'est simplement modeler des formes de comportement complexe.

Skinner soumet au même traitement l'histoire, la géographie, car, quelle que soit la discipline concernée, la définition qu'il donne de l'enseignement ne varie pas :

- "Il s'agit toujours de susciter des formes de comportements spécifiques et de les amener, par renforcement différentiel, sous contrôle de stimuli spécifiques".

On pensera peut-être que nous avons trop cité Skinner, que nous avons fait déjà trop de concessions en se plaçant sur ce terrain et en entrant dans cette perspective, alors qu'il aurait suffi de lui donner congé en la déclarant irrecevable. Certes, mais il est important de comprendre où la "pédagogie par objectifs" prend ses racines, ne serait-ce que pour ne pas se laisser mystifier par les justifications qu'elle avance. Certains enseignants peuvent être flattés de voir l'ancien "art d'instruire" transformé en une "science comportementale" : c'est sans doute plus impressionnant ! D'autres sont rebutés par une telle "métamorphose", mais ce n'est pas parfois sans une pointe de mauvaise conscience, qu'ils imputent à une incapacité de "s'adapter aux progrès de la science". Cet argument ne doit pas impressionner : cette "scientificité", dont les pédagogues "new age" se pavanent n'est rien d'autre qu'un bluff. Il ne faut pas se laisser entraîner sur le terrain des ratiocinations techniques dont ils se sont fait une spécialité, et qu'ils affublent d'une phraséologie pédante.

Tous ces ouvrages s'accordent sur la démarche, tous se réclament du béhaviorisme et de la science comportementale, tous admettent les mêmes présupposés, même s'ils peuvent diverger sur tel point de détail. On reprochera, par exemple, sa brutalité à Skinner dans l'exposé de ses intentions et dans sa dénonciation de la "pédagogie traditionnelle" ; autrement dit de vendre la mèche, alors qu'il serait nécessaire d'amortir le choc provoqué par ces "nouvelles recherches", afin de ne pas "faire perdre confiance dans le métier d'éducateur", qualifié démagogiquement comme "l'un des plus anciens et des plus difficiles de tous les temps". Mais il reste que s'il convient d'amortir ce choc, c'est pour "insérer en douceur la science comportementale dans la pratique scolaire traditionnelle".

Il est d'autant plus indispensable de remonter aux sources et de démasquer les présupposés de ces "sciences de l'éducation" qu'elles s'efforcent d'amadouer, de séduire un nouveau public, de recruter de nouveaux adeptes et de rallier les récalcitrants. Or, il faut le dire clairement : avec cette optique, il n'y a pas de compromis possible ! Faire de la pédagogie une "science comportementale", c'est se méprendre totalement sur la nature de l'homme, et de l'éducation. La "pédagogie par objectifs" est coupable d'un contresens majeur sur l'homme.

Certes, il y a en l'homme du "comportemental", c'est-à-dire du mécanique et de l'instinctif, et qu'il soit possible d'agir sur le mécanisme, de programmer à partir d'une séquence de stimuli une série de réponses, toutes les techniques totalitaires de conditionnement l'attestent. Ce serait cependant une erreur de réduire l'homme à ce qui lui est commun avec l'animal ; ce serait de plus une faute de faire de l'éducation une technique de conditionnement. Ce serait enfin le comble de l'hypocrisie que de commettre cette erreur et cette faute au nom de l'homme, et de la démocratie.

Décidément, on ne peut éduquer qu'en s'adressant à l'intelligence et à la raison de ceux que l'on éduque, en "formant leur jugement", c'est-à-dire en les instruisant, comme l'avait si bien vu Montaigne, et en leur permettant de bien juger de "la valeur des choses qu'ils auront à se donner pour fins", comme le disait Kant.

Il n'y a pas de compromis possible avec la "pédagogie par objectifs" et ces techniques comportementales, parce qu'il ne peut y avoir d'éducation qu'au delà du comportement, à tel point que je définirais volontiers l'éducation comme ce qui permet d'élever l'homme des comportements à la conduite.

Bernard Berthelot

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