compter, calculer
cahier d'exercice pour le cours
préparatoire
un livre de Pascal DUPRÉ, instituteur
sortie le 6 mai 2008
- Pascal Dupré, ou une classe expérimentale dans une école giennoise
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École : la révolution du bon sens
Certains parents
d'élèves ont mis plus de vingt ans à réaliser que l'école primaire
n'apprenait plus aux enfants à lire, à écrire et à compter
correctement. Mais moins de cinq minutes pour considérer que le
problème était réglé depuis le 3 janvier dernier, le jour où Gilles de
Robien a publié une circulaire imposant le retour à un départ
syllabique (le b.a.-ba) de l'apprentissage de la lecture. Ce qui prouve
qu'ils ne manquent ni de confiance en l'école ni d'aveuglement sur ce
qu'il s'y passe... car cette circulaire ne règle évidemment pas tout.
Elle ne traite pas de l'écriture, ni de la grammaire, de l'orthographe
ou du calcul. Et même sur la lecture, elle ne fait qu'engager la
bataille du bon sens, sans réelle certitude de l'emporter. «J'ai d'abord ressenti l'annonce du ministre comme une bouffée d'oxygène,Les
collègues de mon école l'avaient perçue, eux, comme un feu vert : ils
allaient enfin pouvoir relayer mes actions dans leurs classes, sans
crainte d'être mal notés ou harcelés par l'Administration. Mais c'était
avant qu'on leur dise que cette circulaire n'a pas force de loi tant
que les programmes de 2002 restent en vigueur ; et comme ces programmes
préconisent de démarrer par de la globale... leur enthousiasme est
nettement retombé. Le mien aussi, d'ailleurs.» témoigne Pascal Dupré, instituteur à Gien dans le Loiret, qui pratique la méthode syllabique depuis trois ans.
Agé de 47 ans, Pascal Dupré est instituteur depuis vingt et un ans,
dont onze en cours préparatoire, première année après la maternelle,
celle où les écoliers de 6 ans apprennent à lire. Il se souvient fort
bien de sa déprime, il y a trois ans. «Désabusé, au bord de la démission»,
il ne nourrissait alors aucune interrogation particulière sur ses
méthodes pédagogiques - conformes aux consignes officielles - mais
perdait peu à peu le goût d'enseigner. Ses élèves passaient le plus
clair de leur temps à s'ennuyer ou à s'agiter, sans progrès notables,
au désespoir de leurs parents, mais dans l'indifférence de
l'institution scolaire qui ne voyait là rien d'anormal. Depuis 1998, on
sait en effet qu'après huit ans de maternelle et de primaire, 21% des
écoliers sont admis au collège sans comprendre ce qu'ils lisent, et 38%
sans savoir faire une opération. Pascal Dupré était donc «dans la
norme», mais profondément découragé.
Curieusement, ce n'est
pourtant pas cela qui l'a incité à changer de méthodes et à recouvrer
par la même occasion son moral ainsi que le plaisir et la fierté
d'exercer son métier. «J'ai eu un rapport d'inspection très défavorable en 2002, alors que je pensais être dans les clous, raconte-t-il. Je
ne voulais pas laisser les critiques jargonneuses et humiliantes qu'on
m'adressait sans réponse, mais il m'a fallu me livrer à un énorme
travail de réflexion et d'argumentation pour réussir à le faire. C'est
ce travail qui a commencé à m'ouvrir les yeux.»
Ensuite,
tout s'est enclenché. Son contre-rapport (aussi drôle qu'incisif et
insolent, alors que ce maître est d'un naturel très réservé) a fait du
bruit. Plusieurs collègues - du primaire, mais aussi du secondaire -
l'ont contacté pour lui faire part de leurs propres déboires. Guidés
par eux, Pascal Dupré a commencé à correspondre avec les principales
associations d'enseignants qui se sont constituées sur internet afin
d'y dénoncer tel ou tel problème pédagogique.
«Je n'étais plus seul, isolé dans ma classe, poursuit-il. Et
plus je m'informais, plus je découvrais que la dégradation n'était pas
seulement générale : elle s'amplifiait. On voyait arriver de jeunes
collègues avec de graves lacunes, dont l'un, par exemple, qui demandait
à ses élèves de CE1 de conjuguer le verbe "avoir fini" au présent. Les
parents, eux aussi, se lâchaient : certains m'ont raconté des erreurs
que j'avais commises ou des échecs dont j'étais responsable sans
l'avoir réalisé !»
Quand «Au secours» devient «OXOR»
Puis
c'est la rencontre avec Marc Le Bris (1). Même âge, même parcours, même
contestation de la façon dont ces deux instituteurs avaient «appris à
apprendre» dans leurs écoles normales. Très vite, Pascal décide
d'adopter dans sa classe les méthodes rodées depuis vingt ans par Marc
: combiner l'apprentissage de l'écriture et de la lecture en commençant
par les lettres, les syllabes et les sons, étudier toutes les
opérations ainsi que les mesures et les proportions, oser des dictées
(d'une seule ligne : «Le lapin est près du sapin» ou «Les pommes tombent du pommier»,
pour les CP de Pascal, plus longues pour les CE2-CM1-CM2 de Marc),
réinventer de vraies «leçons de choses» (en expliquant aux enfants
comment l'oiseau construit son nid, plutôt que d'attendre durant des
heures d'ennui pour eux qu'ils le découvrent tout seuls), enseigner la
grammaire et les conjugaisons, leur faire noter consignes et devoirs au
lieu de les distribuer sur fiches photocopiées ; le tout sans hurler
sur ceux qui rêvent ni délaisser ceux qui peinent. Rien
d'extraordinaire en somme, inutile de s'inquiéter : les écoles des
combattants de la syllabique ne sont pas des annexes clandestines du
pensionnat de Chavagnes. Quant aux parents des élèves concernés, ils
paraissent plus rassurés qu'inquiets.
«Depuis que
j'emploie la méthode alphabétique, je n'ai plus aucun problème avec
eux. Alors qu'avant, ils venaient sans arrêt me dire qu'ils ne
comprenaient pas, ou me demander des conseils pour aider leur enfant»,
constate Magali Pichon, institutrice de CP dans un village au sud du
Mans (Sarthe). Comme Pascal Dupré et Marc Le Bris - qui en est l'un des
fondateurs avec Michel Delord (2) - Magali fait désormais partie du
Slecc (Savoir lire, écrire, compter, calculer), un réseau d'écoles et
d'enseignants pilotes dont l'acronyme résume le programme, agréé par la
direction des enseignements scolaires. Un réseau qu'elle a intégré
après avoir lu le livre de Marc (1), et pris contact avec lui.
Mère
de quatre enfants, mais trop jeune pour avoir connu «l'école à
l'ancienne», cette trentenaire a mis un bon moment avant de douter des
mérites de la méthode globale : «Même face à une enfant de 9 ans, en CE1, qui écrit "OXOR" pour "au secours", on ne se rend pas forcément compte.» Elle était pourtant consciente des difficultés de ses élèves, mais comme son école est située dans une zone d'«extrême pauvreté»
et que sa classe est bondée (trente-deux élèves, contorsionnés devant
des tables minuscules et sur des chaises instables), elle croyait,
ainsi qu'on le lui avait expliqué en IUFM (3), que l'essentiel de leurs
problèmes était de nature sociologique ou matérielle. Peu à peu, le
doute s'est toutefois insinué dans son esprit :
«J'utilisais, comme tout le monde, une méthode mixte à départ global - Lecture en fête -
en démarrant la syllabique assez tôt, dès la troisième semaine
d'octobre : les enfants confondaient les sons ou lisaient des mots
entiers à la place des autres. Au bout de deux ans, je suis allée voir
ma conseillère pédagogique, qui m'a recommandé deux autres manuels, Grain de lire et Ribambelle : c'était encore pire.»
Survient alors l'incident décisif. La propre fille de Magali, alors en CP, se retrouve à son tour «en difficulté de lecture».
«Tant mieux, en un sens, se félicite aujourd'hui sa mère. Je
l'ai emmenée chez une généraliste du Mans qui s'occupait déjà de
nombreux élèves pour le même type de problèmes, le Dr Wettstein-Badour
(4). Depuis, je paie chaque année des droits pour photocopier la
méthode de lecture qu'elle a mise au point pour "réparer" ces enfants.
C'est de la syllabique pure. Sans aucune image. Un peu austère,
d'accord, mais je n'en changerais pour rien au monde.»
La jeune institutrice n'y voit en effet que des avantages : «Les
enfants ne confondent plus les mots, et beaucoup moins les sons. Ils ne
sont plus dégoûtés des vrais livres, depuis que je les utilise
uniquement pour la détente et le plaisir au lieu de les disséquer dans
des séances d'ORL : "Observation réfléchie de la langue". Mais le plus
utile, avec cette méthode, c'est qu'elle me permet de repérer très vite
les élèves en réelle difficulté, et donc de leur appliquer très tôt une
pédagogie différenciée ; alors qu'avec la globale, ils font souvent
illusion jusqu'en CE2, et on intervient trop tard. Aujourd'hui, tous
les enfants que j'envoie au CE1 savent lire.»
Marc,
Magali, Pascal et les autres : ils ne sont encore qu'une poignée,
parfois harcelés par leurs inspecteurs, longtemps sous-notés, jamais
remerciés, toujours privés d'outils adaptés à la pédagogie qu'ils
estiment nécessaire d'appliquer (pas de manuel pour la lecture
syllabique et le calcul, pas de formation pour l'écriture : «Je ne sais même pas quelle position de la main serait la meilleure pour de jeunes enfants, ni quel type de stylo employer !» se désole Magali)... mais néanmoins heureux.
Heureux de faire classe. D'enregistrer des progrès. D'avoir le soutien des parents. Et de «ne plus être seuls». C'est surtout à cela que leur sert pour l'instant le Slecc.
«Nous
nous encourageons mutuellement mais en sachant qu'un seul maître ne
peut pas grand-chose, quelles que soient ses méthodes, si toutes les
classes de son école ne relaient pas les mêmes en amont comme en aval
de sa classe, reconnaît Guy Morel (5), l'un des deux seuls professeurs de lycée - avec Laurent Robin - à appartenir au Slecc. Le mieux étant que cela se fasse dès la maternelle, comme dans l'école de Marc.» Mais il faut bien que quelques-uns commencent. En espérant que beaucoup d'autres se grefferont bientôt sur leur noyau.
Durant
les deux premières semaines qui ont suivi sa publication, la circulaire
de Gilles de Robien semble avoir provoqué un frémissement en ce sens.
Pascal Dupré n'était pas le seul à avoir remarqué que les collègues de
son école étaient plus ouvertement sympathisants. «Mais le
problème, dans l'Éducation nationale, c'est que les enseignants ne
veulent surtout pas se brouiller avec leur hiérarchie. Pas seulement
pour des questions de notes, mais parce qu'elle représente leur unique
soutien en cas de problème ; surtout avec les parents.»
Autrement
dit, si les enseignants ont l'impression que l'Administration ne suit
pas le ministre, c'est cuit pour la syllabique. Mais dans le cas
contraire, ils pourraient être nombreux à soutenir Gilles de Robien,
comme le font déjà 84% des parents d'élèves. Les professeurs du
secondaire mesurent en effet très bien les conséquences de la
«médiocratisation» de l'école primaire : collégiens incapables de
suivre, qui s'ennuient et empêchent les autres de travailler, exigences
à la baisse, cours insipides, examens surnotés, violences. Et les
instituteurs n'ignorent pas que l'école primaire a toujours été
«massifiée» - depuis sa fondation en 1833, et plus encore après sa
laïcisation en 1882 -, preuve que la baisse de ses performances ne
s'explique sûrement pas - ou pas uniquement - par l'«hétérogénéité» de
son public.
La Fondapol, «usine à idées» créée par Jérôme Monod, a récemment publié un édifiant Cahier du débat sur la lecture. Avec un titre qui résume fort bien ce qui permettrait de mieux l'enseigner : «Le courage du bon sens».
Certains, dont le ministre actuel, l'ont déjà. Ils sont encore peu
nombreux, certes. Mais c'est ainsi que naissent les révolutions.
Véronique Grousset
article paru dans Le Figaro, 28 janvier 2006
(1)
Nous avons été les premiers à consacrer, fin 2002, un sujet de
couverture aux méthodes de cet instituteur breton, «résistant à la
pédagogie moderne», qui fournissait chaque année les meilleurs élèves
de son département tout en étant le plus mal noté de son académie.
Depuis, Marc Le Bris a publié un ouvrage qui a connu un grand succès :
Et vos enfants ne sauront pas lire... ni compter ! (Stock, 2004).
(2)
Professeur de mathématiques et vice-président du Grip (Groupe de
réflexion interdisciplinaire sur les programmes), Michel Delord est
l'auteur d'une réflexion très aboutie sur les conséquences actuelles de
l'enseignement du calcul et la meilleure façon de le réformer. On peut
consulter ses textes et études, ainsi que sa documentation sur http
://michel.delord.free.fr/
(3) Instituts universitaires
de formation des maîtres : créés en 1989 pour succéder aux écoles
normales. Très contestés aujourd'hui. À lire : La Ferme aux
professeurs, de François Vermorel (Editions de Paris, 2006).
(4) Voir l'article «A quelle méthode se fier ?», page 45.
(5) Auteur avec Daniel Tual-Loizeau de L'Horreur pédagogique et Petit Vocabulaire de la déroute scolaire, aux éditions Ramsay.
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